En septembre 2023, lors d’une audience privée au Vatican, le Roi Philippe a transmis au Pape François une invitation à venir en Belgique à l’occasion des 600 ans de l’Université catholique de Louvain. La venue du Pape en Belgique s’annonce comme un événement pour les catholiques de Belgique.
Mais cet événement ne justifie pas de bafouer les principes de séparation des Églises et de l’État et de neutralité. À cet égard, le Centre d’Action Laïque est heurté par l’invitation adressée par le Roi Philippe aux corps constitués et à des représentants de la société civile pour écouter le 27 septembre à 10h au château de Laeken « un message de sa Sainteté le Pape François à la nation ». Pour Véronique De Keyser, présidente du Centre d’Action Laïque, « ce type d’invitation est sans précédent et va clairement à l’encontre du principe de séparation des Églises et de l’État. Car sa « Sainteté » – notion qui n’est reconnue que par une petite partie de la Nation – se voit offrir un privilège auquel aucun chef d’Église, et a fortiori chef d’État n’a eu droit. Et ce, alors que la majorité des citoyennes et citoyens belges partagent d’autres convictions philosophiques ou religieuses que celles du Pape. »
C’est d’autant plus interpellant que rien n’est prévu permettant d’apporter le débat ou la contradiction au cours de cette « rencontre ». La Nation est dans une position d‘écoute, voire de prière. Or, les sujets d’interpellation ne manquent pas.
En effet, le Pape François est à la tête d’un État qui a protégé en son sein par un silence coupable, des abus sur mineurs venant d’ecclésiastiques qui en avaient la garde, et qui ont trahi à la fois leurs vœux, la confiance des parents qui leur avaient confié ces enfants, et les lois des pays où les faits se sont déroulés. Et l’Église qui savait, n’a pas bougé comme en témoignent encore ses récents propos sur l’abbé Pierre. Le Vatican reste un État où il n’y pas de vraie responsabilité, où les recours contre les abuseurs sont inexistants et où le droit canonique ignore la loi civile. Le processus de réparation des violences sexuelles commises par l’Église est presque inexistant auprès des victimes. Nous ne pouvons sans doute pas attendre de la visite du Pape une avancée décisive, car si on excepte une rencontre privée avec quelques victimes sélectionnées sur le volet, les abus sexuels de l’Église ne sont pas à l’ordre du jour de son voyage. Quant à d’autres questions sensibles comme pour les femmes, la liberté de choisir ou non d’être mère, ou pour chacun de nous, le droit de mourir dans la dignité – soit le droit à l’IVG et le droit à l’euthanasie – le Pape hélas continue à les fustiger comme une ‘culture du déchet’, alors qu’ils sont, en Belgique, des acquis de notre droit positif conquis démocratiquement. Quant aux questions de genre, qui bouleversent la vie de la famille traditionnelle, et les droits des LGBTQIA+ que le Centre d’Action Laïque soutient, elles déclenchent encore en Europe et partout dans le monde, une offensive conservatrice massive, dont le Vatican est depuis toujours un des croisés remarquables. Qu’on se souvienne seulement des grandes marches en France contre le mariage pour tous en 2013, et à l’initiative citoyenne One of us finalement déboutée en 2014 par la Commission européenne. Aucun de ces désaccords, fondamentaux dans la société de ce 21ème siècle, ne pourra être débattu avec le Pape François, dans le schéma de sa visite. Qui, par un hasard du calendrier tombe très exactement lors de la Journée Mondiale pour le droit à l’avortement, laquelle ne manquera pas de mobiliser les femmes, comme chaque année mais sans doute avec encore plus de ferveur cette année-ci vu ce contexte papal.
Pour Véronique De Keyser, « c’est évident: aucun représentant de la laïcité organisée belge ne donnera suite à l’invitation du Roi ».
Plus généralement, le Centre d’Action Laïque estime que, par la confusion qu’elle nourrit entre déplacement d’un chef d’État et visite d’un leader religieux, c’est toute la visite du Pape qui pose question. Et ce, au-delà de la personnalité du Pape lui-même. L’État du Vatican, fondé grâce aux accords du Latran signés en 1929 entre le Pape et le gouvernement fasciste de Mussolini, est et reste un État théocratique qui demeure profondément conservateur sur des questions qui touchent à la liberté de choix et à la dignité de la vie.
Le Centre d’Action Laïque entend que soient respectées les convictions de tout un chacun dans une société qui est pluraliste et au sein de laquelle une religion ne peut recevoir la préséance sur une autre ou sur un courant philosophique. C’est cette neutralité, principe à valeur constitutionnelle en Belgique, qui garantit le vivre ensemble dans la confiance et la liberté et dont tous les corps constitués de la Belgique doivent être les premiers garants. S’en écarter est inconsidéré, et dans ce monde troublé, un signal dangereux pour le pays.
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